En 1755 un grand tremblement de terre toucha la ville de Lisbonne au Portugal. Le résultat fut qu'environ 100.000 personnes moururent et qu'un nouveau débat s'engagea à propose d'un vieux et profond dilemme théologique : Si le Dieu (des chrétiens) est tout puissant, omniscient et bienveillant comment de tels désastres peuvent-ils advenir ? La réponse, si tant est que cela en soit une, a toujours été que nous ne pouvons tout simplement pas comprendre comment ces calamités s'intègrent dans le grand plan de Dieu mais qu'elles en font partie. Nous devons tout simplement avoir la foi en l'être suprême et ne pas être "arrogant" au point de nous interroger sur Sa volonté.
Bien sur, n'importe quel être humain qui causerait délibérément la mort de milliers de gens, quels que soient ses motifs ou son but "supérieur", serait qualifié d'horrible criminel, pourchassé et jugé selon les lois humaines. Les personnes rationnelles se sentent souvent frustrés par ce genre de situation de deux poids deux mesures et une bonne défense contre l'irrationalité du monde est, comme Mel Brooks l'a souligné, d'avoir un solide sens de l'humour. Si quelque chose de bon est sorti du tremblement de terre de Lisbonne c'est qu'il a inspiré le philosophe français Voltaire pour écrire cette œuvre maîtresse de la littérature mondiale qu'est Candide. Dans celle-ci, Voltaire se moque de l'attitude consistant à dire que nous vivons "dans le meilleur des mondes possibles", telle qu'elle est affirmée par l'un des personnages principaux, le Docteur Pangloss (en partie inspiré par la philosophie de Leibniz), et telle qu'elle est clairement contenue dans les explications théologiques des désastres naturels.
Récemment j'ai été le témoin de deux exemples supplémentaires de ce "syndrome de Pangloss", l'un en réaction à un événement largement médiatisé à travers toute la planète et l'autre lorsque j'ai assisté à une réunion religieuse célébrant un rite de passage. L'importance de ces deux épisodes est extrêmement différente et cependant ils reflètent tous deux la même irrationalité et la même dangereuse attitude à propos de ce qui arrive dans le monde et pourquoi cela arrive.
Le grand événement est bien sur le tsunami qui a causé la mort de plus de deux cent mille personnes dans le sud-est asiatique. Pendant plusieurs jours après la tragédie il y a eu un sérieux débat dans les médias, sinistrement semblable à celui qui inspira Voltaire : Comment Dieu a-il pu permettre qu'une telle catastrophe arrive ?
Les théologiens catholiques, les rabbins juifs et les clercs musulmans donnèrent tous la même réponse : Nous ne savons pas, mais cela doit être pour qu'un bien supérieur arrive. Certains de ces experts en rien du tout autoproclamés allèrent si loin qu'ils affirmèrent que les personnes qui étaient mortes étaient d'une façon ou d'une autre indignes et que le tsunami était la punition de Dieu pour leurs péchés. Un colossal et insultant cas de blâme envers les victimes s'il en fut ! Il est difficile pour moi d'imaginer le degré de gymnastique mentale que quelqu'un doit accomplir dans ce cas pour préserver sa petite préférence religieuse chérie. Cette sorte d'événement doit provoquer un insupportable degré de dissonance cognitive et la personne en question doit être particulièrement habile en auto-persuasion pour ne pas percevoir l'absurdité pure de la chose. Et pourtant cela semble fonctionner pour des centaines de millions de personnes à travers le monde.
Cette attitude "explique" Lisbonne, le tsunami, les attaques du 11 septembre contre les USA et en gros n'importe quoi d'autre de mauvais qui arrive sur cette planète : C'est soit notre faute, soit pour la poursuite du plan de Dieu (incompréhensible mais certainement suprêmement bon).
La même logique bizarre s'applique bien sur à l'envers : de même que Dieu n'est jamais responsable de quoi que ce soit de mauvais qui nous arrive, Il obtient tout le crédit lorsque quelque chose de bon se passe. C'est un bon job si vous pouvez en avoir un identique ! Le second exemple dont j'ai été témoin relève de cette catégorie du "C'est Dieu qui l'a fait (car c'est un événement heureux)".
C'était une cérémonie religieuse célébrant un important rite de passage pour une jeune fille et suivie par une fête ou chacun à pris du bon temps. A un moment le père de la jeune fille s'empara d'un micro et nous raconta une histoire poignante : Sa fille était née prématurément et sa mère et elle avaient difficilement survécu à cette épreuve. Sa fille avait été dans un état désespéré après sa naissance et les médecins avaient peu d'espoirs de la sauver. Néanmoins un docteur avait eu l'audacieuse et brillante idée d'essayer un nouveau médicament expérimental après avoir obtenu l'autorisation des parents. Cela fonctionna et le résultat fut la belle jeune fille que nous célébrions maintenant.
Si l'histoire s'était arrêtée là cela aurait été un merveilleux et poignant conte sur la compassion humaine et l'ingéniosité. Mais évidemment le père continua et ajouta que, bien qu'il soit certain que les médecins avaient quelques mérites dans l'issue finale, ce fut un exemple clair de miracle, une intervention directe de Dieu pour sauver son enfant.
Il y a tellement de choses qui sont simplement fausses dans tout cela qu'il est, encore une fois, difficile d'imaginer comment une personne parfaitement normale et fonctionnelle peut sincèrement tenir ce genre de raisonnement.
Pour commencer pourquoi Dieu devrait-il être remercié d'avoir résolu le problème mais pas de l'avoir créé en premier lieu ? Ensuite n'est-ce pas clairement une insulte envers les médecins qui ont effectivement fait le travail difficile et pris la lourde responsabilité en cas d'échec du traitement ? Plus généralement, si tout le monde (y compris les docteurs) adopte cette attitude est-ce que cela ne signera pas la fin de toutes les tentatives d'améliorer la condition humaine ? Si tout est entre les mains de Dieu (pourquoi aurait-il besoin de mains de toute façon?) alors pourquoi s'en préoccuper ? C'est précisément cette attitude qu'adopte le mouvement des soi-disant "scientifiques chrétiens" (un oxymore de proportion grotesque) qui laissent leurs enfants mourir parce qu'ils pensent que toutes les maladies viennent du manque de foi et qu'elles ne peuvent êtres soignés que par le regain de celle-ci.
Je ne suis pas Voltaire et cet essai n'est pas Candide. Donc je laisserais le dernier mot au grand écrivain français des lumières : "Le doute n'est pas une condition agréable, Mais la certitude est absurde". Nous nous trouverions dans un monde bien meilleur si nous vivions tous selon ce précepte.
Auteur de l'article original : Massimo Pigliucci
Traducteur : Patrick Guignot